»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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Limonov face à Limonov

La correspondante à Moscou de The Pariser, Galia Ackerman a donc rencontré Edouard Limonov, histoire de rétablir un semblant de vérité avec celui qui est devenu un héros romanseque sous la plume d'Emmanuel Carrère, lauréat du prix Renaudot pour son livre éponyme.

— Edouard, avez-vous lu le livre d'Emmanuel Carrère?

— J'ai lu le début et la fin et je l'ai feuilleté au milieu. Finalement, je connais ma vie, à quoi bon la relire? Je laisse au premier venu le droit d'interpréter ma vie.

— Vous reconnaissez-vous dans le personnage du livre?

— Carrère affirme que «Limonov» c'est moi, mais bien entendu, je suis plus complexe et plus nuancé.

— Depuis quand connaissez-vous Emmanuel Carrère? Que pensez-vous de lui en tant qu'homme et en tant qu'écrivain?

— Je l'ai connu brièvement en 1981, puis il est venu en Russie en 2007 et en 2008. Au fond, je le connais très peu. Et je n'ai jamais lu ses livres. J'aurais lu volontiers, mais il ne m'a pas donné ses livres, quand il est venu, peut-être, par modestie.

— Comment expliquez-vous le succès de «Limonov»? Est-ce un intérêt particulier des Français pour des personnages peu ordinaires, comme Céline ou Genet? S'agit-il du désir de comprendre la Russie?

— Pendant un quart de siècle, sinon plus, la France implantait chez elle la correction politique. Au final, cela l'a transformée en un pays intellectuellement stérile, un pays où la pensée libre est de facto interdite, alors qu'un comportement libre dans la vie est considéré comme un crime. Comme elle n'a plus ses propres héros —même perçus comme des anti-héros, car les vieux sont morts et les jeunes sont écrasés dès leur enfance, voilà que les Français observent à travers un trou de serrure, avec horreur et admiration à peine cachée, un héros venu d'ailleurs. D'autant plus que ce héros avait vécu chez eux, il ne leur est donc pas totalement étranger, il comprend leurs catégories mentales… L'intérêt pour la Russie n'a rien à voir avec l'engouement pour ce livre, même si Carrère lui-même y croit. Non, il s'agit de l'intérêt pour la vie d'un homme interdit. Interdit en France.

— À la fin du livre, Carrère vous montre vaincu, mais pas n'ayant pas capitulé. Il imagine votre vieillesse quelque part en Asie Centrale. Comment évaluez-vous vos perspectives d'écrivain et d'homme politique? Quels sont vos projets?

— J'ai parlé moi-même à Carrère de mon projet éventuel de passer ma vieillesse en Asie Centrale. Par-ci, par-là, je l'ai également mentionné dans mes écrits. À deux reprises, j'ai déjà essayé d'agir en Asie Centrale. La première fois, en 1997, lorsque je suis parti, avec un groupe de neuf personnes, pour participer à la révolte de Cosaques à Koktchetave, au Kazakhstan, ensuite, nous avons traversé quatre pays pour arriver au Tadjikistan où je me suis lié d'amitié avec le chef guerrier Makhmoud Khoudoïberdyev et avec des officiers de la division N° 201. Et la deuxième fois, lorsque j'ai été arrêté dans l'Altaï en 2001, à la frontière avec le Kazakhstan.

J'ai toujours gardé en mémoire la phrase méprisante de Bonaparte: «L'Europe est une taupinière!» Bonaparte considérait que de vrais exploits n'étaient possibles qu'en dehors de l'Europe, d'où sa campagne égyptienne et sa tentative d'aller vers l'Inde via la Russie, il imitait Alexandre le Grand. L'Asie est passionnante. «L'Asie est une esclave avec un grain de beauté royal sur sa poitrine basanée», écrivait le poète Khlebnikov.

Quant à mes projets, je viens de me déclarer candidat à la présidentielle, en renonçant d'ailleurs à la nationalité française. Les autorités m'arrêteront sur cette voie, mais à quel moment? J'essayerai d'avancer le plus loin possible.

— Y-a-t-il un avenir pour les jeunes gens ayant fait l'expérience des «natsbols» —nationaux-bolcheviks, votre parti interdit?

— Ils sont les seuls à avoir un avenir. Ils sont intrépides, bien préparés à la lutte politique dans un état policier, et cela leur donne de gros avantages. Les futurs hommes politiques de la Russie sortiront uniquement de notre milieu.

— Croyez-vous que Poutine restera douze ans au pouvoir? Faut-il s'attendre à une révolution ou à un coup d'état en Russie?

— Ces douze ans supposés sont le produit de la peur, de l'apathie et du fatalisme de l'intelligentsia et des journalistes russes. En réalité, l'opposition a déjà obtenu la victoire morale, car Poutine ne jouit plus de soutien dans la société. Seuls les fonctionnaires, les services secrets et les vieillards séniles qui gobent des médicaments à en vomir, le soutiennent.

Le coup d'état ressemble toujours à une révolution, et la révolution, à un coup d'état. Nous ferons ce qui marchera le mieux.

— Malgré votre alliance tactique avec les démocrates, j'ai l'impression que vous ne partagez pas les valeurs occidentales —je parle plutôt de la démocratie traditionnelle et des droits de l'homme que des valeurs de la société de consommation. Quelle voie voyez-vous pour la Russie? Peut-elle trouver une voie particulière?

— La tradition de plus en plus ancrée dans le monde, en Inde, par exemple, c'est l'alternance du pouvoir et l'indépendance de la justice. Cette tradition n'est pas seulement occidentale, elle est l'apanage de toute l'humanité. Je partage cette tradition-là. Je suis pour les élections libres, pour l'électivité de toutes les branches du pouvoir. Depuis 1994, je propose d'élire même les chefs de la police et les juges, de sorte que je suis plus démocrate que nos démocrates locaux. Je suis plus brillant qu'eux, c'est ma faute, je la reconnais, mais je suis plus moderne et plus honnête.Chaque grand pays, et d'autant plus la Russie, un pays-civilisation, a sa propre voie de développement. À l'Inde, sa voie, à la Chine, la sienne, et à la Russie, idem. Mais les principes restent universaux: libertés civiques, libre expression des citoyens lors des élections libres. Pour l'instant, on n'a inventé rien de mieux.

— Comment interprétez-vous ces manifestations en Russie depuis lundi contre les fraudes aux élections? Est-ce l'esquisse d'un « printemps russe »?

— Je crois que c'est le début d'une révolution. J'ai déjà été arrêté deux fois. Dimanche, lors du meeting sur le place Trioumphalnaïa —119 arrestations et ce mardi 6 décembre —569 arrestations, de sorte que c'est moi qui incarne la protestation. Je serai jugé le 13 décembre.

— Mais quelles sont les exigences des manifestants?

— Nos objectifs sont les suivants: Annuler les résultats des éélections du 4 décembre, organiser immédiatement, avant le 4 mars, date de l'élection présidentielle, des élections libres à la Douma et ne pas admettre la candidature de Vladimir Poutine au poste du président, car ce serait son troisième mandat, et cela est contraire à la Constitution, qui n'autorise que deux mandats consécutifs.


Galia Ackerman | «The Pariser», décembre 2011

Emmanuel Carrère

Original:

Galia Ackerman

Limonov face à Limonov

// «The Pariser» (fr),
décembre 2011