»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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Limonov par Carrère

Jérôme Garcin

C'est un des événements de la rentrée: Emmanuel Carrère signe un époustouflant portrait de l'écrivain mercenaire Edouard Limonov, fanatique national-bolchevik et bête noire de la nouvelle Russie. En voici les meilleurs extraits.

En 1983, Emmanuel Carrère, alors journaliste à «Télérama», invite l'auteur de «Journal d'un raté» dans l'émission qu'il anime sur une radio libre. Moulé dans un tee-shirt noir, Edouard Limonov a les biceps et la coupe en brosse d'un para. Un para qui, de retour des Etats-Unis où il a couché alternativement avec des femmes et des hommes, fréquente le Palace dans une vareuse d'officier de l'Armée rouge, et va bientôt devenir la vedette de «l'Idiot international», le journal de Jean-Edern Hallier.

Une vingtaine d'années après cette première rencontre, Emmanuel Carrère retrouve à Moscou, lors d'une manifestation anti-Poutine, Edouard Limonov, qui ne l'a pas oublié. Entre-temps, le premier est devenu l'écrivain de «l'Adversaire» et d'«Un roman russe» et le second, le chef rouge-brun du Parti national-bolchevik, qui parade volontiers avec Le Pen. L'un connaît un grand succès littéraire et suscite l'admiration. L'autre a connu la prison et suscite une réprobation sourde. A Carrère, une bibliographie exemplaire. A Limonov, une longue liste de crimes et délits (dont le mitraillage de Sarajevo avec les Serbes de Bosnie, le trafic d'armes et la tentative de coup d'Etat au Kazakhstan.)

Qu'est-ce qui a donc poussé Emmanuel Carrère à consacrer un livre de près de 500 pages à un tel allumé, un tel illuminé? La passion croissante du fils d'Hélène Carrère d'Encausse pour ses origines russes, sans doute, et pour l'histoire folle d'un «Empire éclaté». Mais plus encore la conviction qu'il tenait, avec Limonov, un vrai personnage de roman dostoïevskien.

Enquêtant de Moscou à New York en passant par Paris, il fait le portrait tantôt fascinant, tantôt repoussant, mais jamais indifférent, d'Edouard Savenko, alias Limonov (le mariage de limon, citron, et limonka, grenade). «Voyou», «barbare», «chef de gang», «supercaïd», un peu «Jack London», un peu «Barry Lyndon», Carrère multiplie, comme en vain, les qualificatifs pour tenter de définir celui qui fut successivement bandit raté en Ukraine, plusieurs fois suicidé, débauché et sodomisé à New York, ultrabranché à Paris, armé contre les «traîtres» Gorbatchev et Eltsine, tête brûlée dans les Balkans, incarcéré à Lefortovo, surnommé «Ben Laden», et qui n'a pas plié.

En littérature comme en art, le portrait n'est jamais qu'un autoportrait fantasmé et différé. C'est aussi la manière dont l'auteur de «D'autres vies que la mienne» se projette dans ce néopunk nationaliste vomissant la bien-pensance occidentale qui fait le prix de ce livre audacieux et passionnant.

Carrère ne stigmatise ici son enfance bourgeoise gouvernée par une mère impériale, son adolescence de dandy droitier, sa jeunesse conformiste à Sciences-Po, son hermétisme à la poésie, sa vie si bien rangée et si peu aventureuse que pour mieux exalter la folie et le fanatisme de celui dont il prétend ignorer s'il est un héros ou un salaud, mais dont il jalouse, en secret, l'orageux destin de pirate moderne.


«Le nouvel Observateur», 1 septembre 2011

Eduard Limonow

Original:

Jérôme Garcin

Limonov par Carrère

// «Le nouvel Observateur» (fr),
01.09.2011