»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



Die unautorisierte Webseite zum Buch.
Von den Machern von Limonow.de

zurück

Edouard Limonov: la révolution punk

Mathieu Molard et Edouard Marguier

Mes anges gardiens se contentent d'inspecter rapidement la cour de l'immeuble, puis la cage d'escalier, le palier enfin, donnant sur un petit appartement sombre (…). Edouard, m'apprend l'un d'eux, se partage entre trois ou quatre domiciles dans Moscou, en change aussi souvent que possible, s'interdit les horaires réguliers et ne fait jamais un pas sans gardes du corps – des militants de son parti.

Emmanuel Carrère décrit ainsi son arrivée dans la planque du punk révolutionnaire et sulfureux, Edouard Limonov. Pour nous, un numéro et une adresse. Nous appelons, une fois arrivés dans la cour de l'immeuble. Un seul mastard, les cheveux mi-longs, blonds, le visage impassible, sort de l'immeuble. Après avoir vérifié notre identité «Franzouse?!», il pousse la porte du bâtiment avec les mêmes précautions, jetant un regard inquisiteur sur chaque palier. Arrivé au 4ème étage, il échange quelques mots à travers la double porte. Elle finit par s'ouvrir. Le moment est romanesque et dans l'entrebâillement apparaît le héros. Pas très grand, le visage grave, le regard aigu et froid. Les mains couvertes de chevalières. Nos sacs volumineux l'inquiètent. «C'est une caméra – Pourquoi? — Pour filmer, pour le site internet. — C'est merde!».

La réponse claque. Nous abandonnons nos affaires dans un couloir étroit. Il nous guide jusqu'à la pièce du fond. Aux murs quelques photos encadrées et au centre de la pièce – surprise – un sapin de Noël. «Je ne crois pas que vous soyez des journalistes, peut-être des étudiants ou quelque chose comme ça. Mais pas des journalistes.» Nous tentons d'expliquer notre projet «Ça ne m'intéresse pas!» L'échange est tendu. «Allez-y!» Le personnage écrase par sa présence.

L'oppresseur c'est Poutine

Mal à l'aise, assis sur un coin de fauteuil, nous attaquons l'entretien par des questions politiques. Peut-être aurons-nous l'air plus crédible. Le ton s'adoucit, Limonov se glisse dans la peau du porte-parole. Les rôles sont désormais distribués ainsi: l'oppresseur c'est Poutine, lui il est le démocrate, le chef d'un parti qui plus que tous les autres «a subi un lourd tribu sous le règne de Poutine. Près de 210 personnes ont été emprisonnées ou mis dans des camps d'internement».

Nous cherchons le révolutionnaire caché derrière le communiquant mais le sang sur les pavés ne séduit plus les Français depuis bien longtemps. Il le sait. «Si les moyens pacifiques ne suffisent pas il faut trouver d'autres moyens mais nous espérons gagner notre liberté sans verser le sang du peuple.» Il est fini le temps où émigré, sans le sou largué sur le pavé de New York il se rêve en révolutionnaire, écrit-il dans Journal d'un raté: Bombardez-moi donc écrivain best-seller, faites moi gagner un million du jour au lendemain: avec ce fric je me procurerai des armes et susciterai un soulèvement dans n'importe quel pays.

Il interrompt la lecture du passage. «ça a été écrit en 67. — Ce n'est plus d'actualité? relançons-nous — C'est toujours d'actualité, les ratés du monde veulent toujours améliorer leurs destins.» Aujourd'hui la révolution serait orange comme il vient de s'en produire [une] en Ukraine. Une révolution pacifique, démocratique, que le Kremlin, selon lui, redoute par-dessus tout.

Encore une fois, le discours est le même que celui servi à Carrère.

National-bolchévique

L'étendard du parti National-Bolchévique, copie du drapeau nazi où le marteau et la faucille ont remplacé la croix gammée, flottera au côté des bannières des libéraux dans la grande manifestation du 4 février. «Nous participerons bien à ce rassemblement mais nous insisterons sur la nécessité d'adopter un comportement radical.» Désormais Edouard Limonov est respectable et respecté. Il est redevenu le dissident New Wave, le héros romantique. Oubliée son apparition sur la BBC où on le voit mitrailler Sarajevo assiégée sous l'œil bienveillant de Radovan Karadzic, leader des Serbes de Bosnie et criminel de guerre avéré.

«[Carrère] s'étonne qu'une personne avec ma réputation puisse être saluée par les démocrates, mais la Russie n'est pas la France, il n'y a pas de frontières rigides entre les groupes idéologiques.»

Il reste juste ce qu'il faut de provoc’ dans son discours pour séduire le petit milieu Germanopratin, comme au début des années 1980 quand il s'était installé à Paris, auréolé par le succès de son roman à scandale.

Le poète russe préfère les grands nègres. «Staline, on le regarde comme notre Napoléon. Chaque pays doit avoir son anti-héros national, son tyran. Les Russes ont le même rapport avec Staline que les Français ont avec Napoléon. — Stratège de génie? – Oui, comme Hitler.»

A évocation des précédentes manifestions nous retrouvons un bref instant le révolutionnaire professionnel, le technicien de la guérilla urbaine, Lénine dans son Wagon blindé décrit par le romancier français. Le rythme de sa voie s'accélère. Sur des petits papiers il griffonne des plans de la capitale. «Ici c'est l'immeuble du comité central des élections, ici le Kremlin et la place de la Révolution. Mais qu'a fait Nemsov? [ndlr, l’ancien vice-premier ministre, passé dans l'opposition] Il a mené ces milliers de personnes vers la périphérie, tandis qu'il fallait marcher 200 mètres, de la place de la révolution jusqu'à l'immeuble du comité central des élections, ici. Ainsi on pouvait obtenir la victoire. Il faut frapper à la porte du pouvoir en disant, on ne sort pas de cette place si on ne signe pas votre capitulation. On veut que Poutine s'en aille. Le peuple veut vivre et Poutine nous amène à la mort.»

Berlusconi et Sarkozy: des caricatures

Au moment de prendre les photos, je n'appuie que trois fois sur le déclencheur, par peur de l'exaspérer. Sans doute ridicule, il s'est détendu, se laissant même aller à quelques confidences. «J'ai vieilli. Je déteste mes cheveux, je suis comme un spectre.» Edouard Limonov semble plus doux, presque chaleureux. Il badine, commentant la politique française avec une pointe d'ironie «Sarkozy, cet étranger qui arrive et qui vend la France à l'Amérique. Je pense que ce n'est pas une personne très plaisante. Les gens comme Berlusconi et Sarkozy sont des caricatures.» Après quelques anecdotes sur son passé dans l'hexagone il met fin à l'entretien. En passant la porte de la pièce, son visage redevient impassible. Il appel son homme de main d'un ton sec et autoritaire. Il lui glisse un papier dans le creux de la main, accompagné de quelques consignes murmurées à l'oreille. L'homme quitte l'appartement sans un commentaire. Nous sortons à ses côtés après une poignée de main ferme du héros. Mêmes regards inquisiteurs à chaque entrebâillement de porte, puis nous atteignons la cours de l'immeuble enneigée. Impressionnés nous retournons vers le métro.


«Le nouvel Observateur», 21.02.2012

Eduard Limonow

Original:

Mathieu Molard et Edouard Marguier

Edouard Limonov: la révolution punk

// «Le nouvel Observateur» (fr),
21.02.2012