»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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En Aparté — Encore Limonov

Jean-François Nadeau

Avec Edouard Limonov, on ne sait jamais où l’on s’en va. Mais on y arrive...

Le soir où je l’ai rencontré, Emmanuel Carrère m’a tout de suite fait l’impression d’un homme charmant et sympathique.

C’était à l’occasion d’une de ces soirées peuplées de toute une faune d’êtres aimables et polis. Une soirée plutôt ennuyeuse, quoi.

Nous avons échangé des amabilités. Sans doute aurions-nous parlé davantage, mais à quoi bon même essayer de le faire sachant que, dans pareil carcan mondain, on est toujours très vite empêché de discuter vraiment par un Pierre Jean Jacques qui ne manque jamais de surgir devant vous au moment le moins opportun.

Aussi, le lendemain matin, quelle ne fut pas ma surprise de recevoir un mot de Carrère. Il m’écrivait, sous forme d’une longue dédicace, avoir un peu trop bu et bavardé la veille. Et il s’excusait, de façon fort amusante, de s’être trouvé dans un état pareil devant moi.

Du bavardage? Trop bu? J’ai lu et relu, puis me suis pincé pour me demander ensuite si le Carrère très sobre et parfaitement civilisé que je croyais avoir rencontré la veille n’était pas en fait quelqu’un d’autre qui s’était fait passer pour lui…

Comment l’homme que j’avais si brièvement rencontré avait-il pu s’imaginer enivré et déplacé?

C’est que, me suis-je dit, la bonne éducation d’un homme pareil bouscule tout, y compris un certain sens des perspectives. Un cheveu de travers et les gens de ces milieux-là s’imaginent que la terre entière s’en trouve décoiffée.

Fils d’académicienne et de grand seigneur des assurances, Carrère sait à l’évidence se tenir même lorsqu’il pense ne pas être en mesure de le faire.

En Suisse, pays par excellence de ces gens bien élevés, Félix Leclerc racontait qu’il n’avait rien entendu de particulier à la fin d’un de ses spectacles. Pas d’applaudissements à tout rompre. Pas de cris. Rien. Aussi avait-il été surpris de se faire dire, une fois retourné dans sa loge, qu’il s’agissait d’un véritable triomphe, qu’il devait très vite remonter sur scène… Bien élevés, les Suisses approuvaient furieusement ce qu’ils venaient d’entendre en battant des paupières plutôt que des mains, comme Félix le raconte dans Moi mes souliers…

Oui, les excès sont souvent une simple affaire de perception et de nuance.

Et non, ce n’est pas un drame d’avoir quelques imperfections, de savoir manifester sa vie et son enthousiasme, même lorsque tout cela se trouve quelque peu dissous dans l’alcool.

C’est d’ailleurs ce qui cause le plus souvent problème dans l’appréciation publique du sulfureux Edouard Limonov, le personnage hors norme dont a traité à sa façon Emmanuel Carrère dans son Limonov, prix Renaudot 2011.

Il y a ceci de particulier chez ce dissident politique russe: il sait très bien que le déplacement continuel des perspectives à son sujet brouille les repères et que cela, en définitive, lui profite beaucoup. Devant Limonov, on ne sait jamais trop à qui on a affaire. Disons que ce n’est pas comme avec Pauline Marois. Et pour cette raison, c’est aussi pas mal plus amusant.

Parmi la quantité d’ouvrages de Limonov publiés ces derniers mois en français, un recueil d’entretiens original mérite l’attention. Comme à son habitude, Limonov s’y révèle grossier sur les bords et au fond très mythomane. À propos de Carrère, il raconte notamment qu’il s’agit d’«un type réservé, fermé, coincé». Limonov lui fait ensuite reproche de vouloir «avoir l’air acceptable». Un gros défaut, dit-il. Un défaut très courant dans la société lissée d’aujourd’hui, en particulier dans le monde francophone. Conclusion de Limonov: «Il faut qu’il mûrisse un peu. C’est bien de ne pas être parfait, d’avoir des imperfections.»

Beaucoup plus littéraire que politique même dans ces entretiens, Limonov vit tout entier dans ce paradis des affabulateurs qui savent vous conduire même là où vous n’avez jamais songé vous rendre. Et lorsque soudain il vous prend envie de remettre en doute la véracité de son récit, il vous précède déjà pour mieux vous ramener à lui au prochain virage. Un peu comme Joseph Kessel qui, après avoir un jour raconté une formidable traversée de l’Afrique, se fit rétorquer qu’il n’avait jamais pu se rendre jusque-là pour de multiples raisons évidentes. Loin d’être démonté, Kessel répliqua du tac au tac à peu près ceci: «Qu’est-ce que ça peut bien faire que je n’y sois jamais allé puisque je vous y ai amenés?»

Avec Limonov, on ne sait jamais très bien où l’on va, mais on sait qu’on arrivera toujours à une surprise.

* * *

Pearson est le nom du géant de l’édition qui est aussi propriétaire du Financial Times. À Montréal, Pearson ferme du jour au lendemain le distributeur DLM, notamment connu pour son expertise du côté de la bande dessinée et du livre jeunesse. Du coup, 44 personnes se retrouvent sans emploi d’ici Noël. Pourquoi?

Il y a quelques jours, Marjorie Scardino, 65 ans, directrice de Pearson, annonçait qu’elle démissionnait «avec joie» du groupe. La maison faisait savoir du même coup qu’elle était remplacée par le «formidable» John Fallon, 50 ans. Simple affaire de succession dans le monde de la finance? Non, disent les spécialistes. Surtout affaire de gros sous, comme on s’en doutait.

Derrière ces mouvements, un irrépressible appétit de rentabilité, semble-t-il. Non pas que Pearson ne soit pas rentable. C’est même tout le contraire. Des profits records en 2011 de 1,4 milliard de dollars. Mais comme ce beau monde carbure à l’idée de rouler sur l’or à tout jamais, il ne lui vient pas à l’idée de se reprocher de mettre 44 personnes sur la paille.

Tout le reste n’est que littérature.


«Le Devoir», 13 octobre 2012

Eduard Limonow

Original:

Jean-François Nadeau

En Aparté — Encore Limonov

// «Le Devoir» (fr),
13.10.2012